Cette augmentation du nombre de démissions inquiète, à quelques jours de la rentrée scolaire du 1er septembre. D’autant qu’environ 4.000 postes n’ont pas été pourvus à l’issue des concours organisés en 2022, sur un total de 27.332 ouverts dans les secteurs public et privé. Manque de reconnaissance, sentiment d’impuissance, bureaucratie… Les enseignants nous racontent les raisons qui les ont poussés à jeter l’éponge.
“Un matin, j’ai échoué.” Marie* se souvient très bien de ce mardi de novembre 2019 : “J’ai déjeuné avec une collègue et elle m’a dit qu’elle ne me reconnaissait pas.” Ce jour-là, impuissante devant une salle de classe surchargée, cette ancienne institutrice aux près de vingt ans de carrière est submergée par la fatigue qu’elle a accumulée au fil des années : “Dès que les élèves partaient en récréation, j’ai pleuré.” Un rendez-vous avec son médecin le lendemain lui suffit pour décider de l’arrêter. La lettre de démission suivra quelques semaines plus tard.
Pour Marie, cet épuisement professionnel et les arrêts de travail consécutifs sont le résultat d’années de surmenage. Avec près de 30 élèves dans la même classe cette année-là, “je me suis retrouvé avec quatre niveaux différents. Pédagogiquement, j’ai toujours dû en faire plus”, se souvient l’ancien professeur de 43 ans. Le constat est le même pour Cindy, qui a enseigné les mathématiques au collège pendant dix ans à l’académie de Nancy-Metz. Une année, il doit superviser une classe de terminale S avec 39 élèves. Pour elle, qui doit chercher des tables supplémentaires à chaque heure de cours, la mission est impossible.
“Je n’avais même pas deux minutes à donner à chaque élève. En conséquence, ma classe était comme une heure au collège dans un auditorium.”
Cindy, ancienne prof de maths
chez franceinfo
De son côté, Erwan, ancien professeur contractuel d’histoire-géographie (employé du rectorat) à l’académie de Rennes, s’est retrouvé pris dans un système d’affectation qui le voyait changer de niveau, voire de facilité, presque chaque année. “Il m’est arrivé de passer de la sixième à la terminale, d’une année à l’autre. Dans ces moments-là, il faut s’entraîner à la dernière minute et apprendre de nouveaux programmes”, explique l’ancien professeur de 37 ans. Même constat pour Cathy, ancienne prof d’anglais qui a suppléé pendant dix ans, dans l’Ain puis dans la métropole de Lyon : « Au final, on se rend compte qu’on n’est qu’un pion face aux exigences budgétaires, qu’on va bouger comme requis.”
Pour de nombreux enseignants, les tâches administratives, “de plus en plus”, viennent allonger les journées de travail. Construire des dossiers et organiser des réunions dans le cadre de dépenses ou de projets spécifiques est très chronophage. De même, ils déplorent le manque de ressources qui les empêche d’accompagner adéquatement les élèves en situation de handicap dans le cadre de l’école inclusive que veut créer le gouvernement.
“Je me suis dit que ça n’allait pas bien quand je me suis dit : j’ai hâte d’être en vacances, je vais pouvoir travailler.”
Anne, ancienne professeur de lettres classiques
chez franceinfo
La pression créée par ces responsabilités finit par devenir insupportable, décrit Solange. “Nous avons toujours cette angoisse qu’un jour ça n’ira pas bien. Ça a fini par me ronger.”
Une lassitude renforcée par le mépris exprimé par le reste de la société. “Ça va, tu as 18 heures de cours par semaine, de quoi te plains-tu ?”, “De toute façon, tu as beaucoup de vacances”… Solange entendait ces propos presque régulièrement lorsqu’elle était enseignante. Elle évoque même le “petit sourcil levé” et le “sourire” sur le visage de ses interlocuteurs chaque fois qu’elle parle de son travail. Pour elle, comme pour de nombreux enseignants, les stéréotypes sur le métier sont épuisants au quotidien. “Il faut systématiquement se justifier, prouver que oui, en fait, on travaille vraiment”, dit-il.
Tous les enseignants interrogés pointent également un « lien de confiance rompu » avec la hiérarchie, jugée « pas assez présente » pour son personnel. “Nous n’avons aucune reconnaissance”, a déclaré Marie en se regroupant. Au quotidien, cela se mesure par le ton utilisé par la direction de l’école et les contacts au presbytère lorsqu’un enseignant veut signaler une absence ou demander une pause. “Ils nous culpabilisent en nous disant à quel point ce sera compliqué de nous trouver un remplaçant”, raconte Marie.
A long terme, l’exemple des visites d’inspection est également typique. “Le dernier entretien que j’ai eu remonte à 2018 et depuis je n’étais censé en avoir aucun avant la retraite”, explique l’ancienne enseignante. Cependant, beaucoup d’entre eux insistent sur l’importance du retour d’information sur leur travail.
“Personne ne nous dit jamais : ‘Ce que tu fais est bien’. A la longue, ça devient épuisant et on n’a plus envie de progresser.”
Agnès, ancienne professeur de sciences
chez franceinfo
Il y a aussi la question du salaire, jugé trop bas et “pas valorisant” par la plupart des enseignants interrogés par franceinfo. Pour Anne, qui a enseigné au conservatoire de Toulouse, la raison financière a pesé lourd. “J’avais du mal à joindre les deux bouts et en plus, je ne voyais aucune perspective d’évolution professionnelle. Je m’ennuyais”, explique-t-il. Titulaire d’un diplôme +5 niveau d’études, il dit avoir commencé avec 1 500 euros nets par mois en tant que titulaire. Après une carrière de dix ans, il venait d’atteindre 1 800 euros.
A ce sujet, le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé dans un entretien au Parisien (article payant), le 26 juin, que tout nouvel enseignant recevrait au moins 2 000 euros nets à partir de 2023. La valeur de l’indice de la fonction publique a augmentent également de 3,5 % à partir du 1er juillet 2022″, a réagi le ministère fin juillet, contacté par franceinfo.
Parfois, il entre à peine dans le métier que les enseignants, nouveaux élèves, démissionnent pour y renoncer. “Dès que le concours est terminé, ils nous donnent une leçon sans préparation ni conseil”, témoigne Julie, qui n’a travaillé que quelques mois comme enseignante à l’académie d’Orléans-Tours.
Lorsqu’il est affecté à sa première classe près de Caen en 2019, Jordan* se sent très vite perdu face au groupe d’élèves qu’il doit gérer du jour au lendemain. “Forcément, au début, j’ai eu du mal à asseoir mon autorité”, se lamente-t-il d’une petite voix. Professeur stagiaire (première année avant la titularisation), il est responsable d’une classe de CE1-CE2 les lundis et mardis.
“La réalité sur le terrain est très différente de ce qu’on apprend à l’école. Je m’attendais à des conseils, des conseils précis sur la façon d’enseigner en classe, mais rien n’est venu.”
Jordan*, ancien enseignant
chez franceinfo
Durant cette année de stage, il est censé être accompagné par un professeur, mais en pratique il manque de conseils. Jordan vit de mauvaises expériences pendant des mois, jusqu’à ce qu’il décide d’arrêter en été, après un mois d’arrêt. La jeune enseignante de 27 ans ne s’imposera malheureusement jamais. “Parce que je ne savais pas vers qui me tourner, je me suis dit que ça ne marcherait jamais”, conclut-il à regret.
Souvent, les enseignants ne réalisent l’étendue de leur douleur que lorsqu’elle affecte leur santé. Pour Agnès, ce sont les “problèmes de dos inexpliqués”, les “migraines à répétition” et l’hospitalisation en 2019 qui alertent. Contacté par franceinfo, le rectorat de Lille précise que lorsque de telles situations de patients lui sont signalées, “il est demandé aux enseignants de contacter un conseiller en ressources humaines ou en médecine préventive”. En réalité, les solutions proposées restent limitées, argumente Agnès. “On a l’impression de se heurter à un mur”, raconte Céline, une ancienne enseignante.
Face à ce mur, certains décident alors d’abandonner leurs tabliers. “C’était soit partir, soit rester dans le bateau et couler avec elle. J’ai sauvé ma peau”, résume Marie d’un air résigné. Aujourd’hui, ils sont apiculteurs, inspecteurs, comédiens ou encore apprentis libraires. “Enthousiaste” et “beaucoup moins fatigué”, presque tous avouent repenser leur métier et leurs élèves. “Quand je les rencontre, ils m’appellent encore maîtresse”, se réjouit Solange, aujourd’hui directrice des hébergements des Pyrénées-Atlantiques. Le “plaisir d’enseigner” ne l’a jamais quittée. Rétrospectivement, ils arrivent tous à la même conclusion : ils ne sont pas partis à cause du travail, mais à cause d’un système défaillant, une « grosse machine » qui les a épuisés.
- Le nom a été changé à la demande de la personne concernée.
title: “D Anciens Enseignants Racontent Pourquoi Ils Ont D Missionn De L Education Nationale Klmat” ShowToc: true date: “2022-10-26” author: “Marlon Kline”
Cette augmentation du nombre de démissions inquiète, à quelques jours de la rentrée scolaire du 1er septembre. D’autant qu’environ 4.000 postes n’ont pas été pourvus à l’issue des concours organisés en 2022, sur un total de 27.332 ouverts dans les secteurs public et privé. Manque de reconnaissance, sentiment d’impuissance, bureaucratie… Les enseignants nous racontent les raisons qui les ont poussés à jeter l’éponge.
“Un matin, j’ai échoué.” Marie* se souvient très bien de ce mardi de novembre 2019 : “J’ai déjeuné avec une collègue et elle m’a dit qu’elle ne me reconnaissait pas.” Ce jour-là, impuissante devant une salle de classe surchargée, cette ancienne institutrice aux près de vingt ans de carrière est submergée par la fatigue qu’elle a accumulée au fil des années : “Dès que les élèves partaient en récréation, j’ai pleuré.” Un rendez-vous avec son médecin le lendemain lui suffit pour décider de l’arrêter. La lettre de démission suivra quelques semaines plus tard.
Pour Marie, cet épuisement professionnel et les arrêts de travail consécutifs sont le résultat d’années de surmenage. Avec près de 30 élèves dans la même classe cette année-là, “je me suis retrouvé avec quatre niveaux différents. Pédagogiquement, j’ai toujours dû en faire plus”, se souvient l’ancien professeur de 43 ans. Le constat est le même pour Cindy, qui a enseigné les mathématiques au collège pendant dix ans à l’académie de Nancy-Metz. Une année, il doit superviser une classe de terminale S avec 39 élèves. Pour elle, qui doit chercher des tables supplémentaires à chaque heure de cours, la mission est impossible.
“Je n’avais même pas deux minutes à donner à chaque élève. En conséquence, ma classe était comme une heure au collège dans un auditorium.”
Cindy, ancienne prof de maths
chez franceinfo
De son côté, Erwan, ancien professeur contractuel d’histoire-géographie (employé du rectorat) à l’académie de Rennes, s’est retrouvé pris dans un système d’affectation qui le voyait changer de niveau, voire de facilité, presque chaque année. “Il m’est arrivé de passer de la sixième à la terminale, d’une année à l’autre. Dans ces moments-là, il faut s’entraîner à la dernière minute et apprendre de nouveaux programmes”, explique l’ancien professeur de 37 ans. Même constat pour Cathy, ancienne prof d’anglais qui a suppléé pendant dix ans, dans l’Ain puis dans la métropole de Lyon : « Au final, on se rend compte qu’on n’est qu’un pion face aux exigences budgétaires, qu’on va bouger comme requis.”
Pour de nombreux enseignants, les tâches administratives, “de plus en plus”, viennent allonger les journées de travail. Construire des dossiers et organiser des réunions dans le cadre de dépenses ou de projets spécifiques est très chronophage. De même, ils déplorent le manque de ressources qui les empêche d’accompagner adéquatement les élèves en situation de handicap dans le cadre de l’école inclusive que veut créer le gouvernement.
“Je me suis dit que ça n’allait pas bien quand je me suis dit : j’ai hâte d’être en vacances, je vais pouvoir travailler.”
Anne, ancienne professeur de lettres classiques
chez franceinfo
La pression créée par ces responsabilités finit par devenir insupportable, décrit Solange. “Nous avons toujours cette angoisse qu’un jour ça n’ira pas bien. Ça a fini par me ronger.”
Une lassitude renforcée par le mépris exprimé par le reste de la société. “Ça va, tu as 18 heures de cours par semaine, de quoi te plains-tu ?”, “De toute façon, tu as beaucoup de vacances”… Solange entendait ces propos presque régulièrement lorsqu’elle était enseignante. Elle évoque même le “petit sourcil levé” et le “sourire” sur le visage de ses interlocuteurs chaque fois qu’elle parle de son travail. Pour elle, comme pour de nombreux enseignants, les stéréotypes sur le métier sont épuisants au quotidien. “Il faut systématiquement se justifier, prouver que oui, en fait, on travaille vraiment”, dit-il.
Tous les enseignants interrogés pointent également un « lien de confiance rompu » avec la hiérarchie, jugée « pas assez présente » pour son personnel. “Nous n’avons aucune reconnaissance”, a déclaré Marie en se regroupant. Au quotidien, cela se mesure par le ton utilisé par la direction de l’école et les contacts au presbytère lorsqu’un enseignant veut signaler une absence ou demander une pause. “Ils nous culpabilisent en nous disant à quel point ce sera compliqué de nous trouver un remplaçant”, raconte Marie.
A long terme, l’exemple des visites d’inspection est également typique. “Le dernier entretien que j’ai eu remonte à 2018 et depuis je n’étais censé en avoir aucun avant la retraite”, explique l’ancienne enseignante. Cependant, beaucoup d’entre eux insistent sur l’importance du retour d’information sur leur travail.
“Personne ne nous dit jamais : ‘Ce que tu fais est bien’. A la longue, ça devient épuisant et on n’a plus envie de progresser.”
Agnès, ancienne professeur de sciences
chez franceinfo
Il y a aussi la question du salaire, jugé trop bas et “pas valorisant” par la plupart des enseignants interrogés par franceinfo. Pour Anne, qui a enseigné au conservatoire de Toulouse, la raison financière a pesé lourd. “J’avais du mal à joindre les deux bouts et en plus, je ne voyais aucune perspective d’évolution professionnelle. Je m’ennuyais”, explique-t-il. Titulaire d’un diplôme +5 niveau d’études, il dit avoir commencé avec 1 500 euros nets par mois en tant que titulaire. Après une carrière de dix ans, il venait d’atteindre 1 800 euros.
A ce sujet, le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé dans un entretien au Parisien (article payant), le 26 juin, que tout nouvel enseignant recevrait au moins 2 000 euros nets à partir de 2023. La valeur de l’indice de la fonction publique a augmentent également de 3,5 % à partir du 1er juillet 2022″, a réagi le ministère fin juillet, contacté par franceinfo.
Parfois, il entre à peine dans le métier que les enseignants, nouveaux élèves, démissionnent pour y renoncer. “Dès que le concours est terminé, ils nous donnent une leçon sans préparation ni conseil”, témoigne Julie, qui n’a travaillé que quelques mois comme enseignante à l’académie d’Orléans-Tours.
Lorsqu’il est affecté à sa première classe près de Caen en 2019, Jordan* se sent très vite perdu face au groupe d’élèves qu’il doit gérer du jour au lendemain. “Forcément, au début, j’ai eu du mal à asseoir mon autorité”, se lamente-t-il d’une petite voix. Professeur stagiaire (première année avant la titularisation), il est responsable d’une classe de CE1-CE2 les lundis et mardis.
“La réalité sur le terrain est très différente de ce qu’on apprend à l’école. Je m’attendais à des conseils, des conseils précis sur la façon d’enseigner en classe, mais rien n’est venu.”
Jordan*, ancien enseignant
chez franceinfo
Durant cette année de stage, il est censé être accompagné par un professeur, mais en pratique il manque de conseils. Jordan vit de mauvaises expériences pendant des mois, jusqu’à ce qu’il décide d’arrêter en été, après un mois d’arrêt. La jeune enseignante de 27 ans ne s’imposera malheureusement jamais. “Parce que je ne savais pas vers qui me tourner, je me suis dit que ça ne marcherait jamais”, conclut-il à regret.
Souvent, les enseignants ne réalisent l’étendue de leur douleur que lorsqu’elle affecte leur santé. Pour Agnès, ce sont les “problèmes de dos inexpliqués”, les “migraines à répétition” et l’hospitalisation en 2019 qui alertent. Contacté par franceinfo, le rectorat de Lille précise que lorsque de telles situations de patients lui sont signalées, “il est demandé aux enseignants de contacter un conseiller en ressources humaines ou en médecine préventive”. En réalité, les solutions proposées restent limitées, argumente Agnès. “On a l’impression de se heurter à un mur”, raconte Céline, une ancienne enseignante.
Face à ce mur, certains décident alors d’abandonner leurs tabliers. “C’était soit partir, soit rester dans le bateau et couler avec elle. J’ai sauvé ma peau”, résume Marie d’un air résigné. Aujourd’hui, ils sont apiculteurs, inspecteurs, comédiens ou encore apprentis libraires. “Enthousiaste” et “beaucoup moins fatigué”, presque tous avouent repenser leur métier et leurs élèves. “Quand je les rencontre, ils m’appellent encore maîtresse”, se réjouit Solange, aujourd’hui directrice des hébergements des Pyrénées-Atlantiques. Le “plaisir d’enseigner” ne l’a jamais quittée. Rétrospectivement, ils arrivent tous à la même conclusion : ils ne sont pas partis à cause du travail, mais à cause d’un système défaillant, une « grosse machine » qui les a épuisés.
- Le nom a été changé à la demande de la personne concernée.