L’expérience de Gaëlle a également été vécue par de nombreux enseignants contractuels. Ces enseignants du premier et du second degré sont recrutés chaque année, titulaires d’un diplôme d’études secondaires mais sans concours, afin d’enseigner dans les zones en pénurie de titulaires. Et il y en a de plus en plus chaque année. Dans le secteur public, leur nombre a presque doublé entre 2008 et 2021, atteignant près de 40 000 sur l’ensemble de la France. Plus de 5% de l’effectif total. La rentrée 2022 devrait facilement dépasser ce record. Dans un “contexte inédit de recrutement d’enseignants”, le ministre de l’Education nationale, Pape Diage, a annoncé le recrutement de 3.000 contractuels supplémentaires. Les syndicats déplorent les conditions de travail difficiles liées à ce statut précaire. Une dizaine de ces professeurs non permanents nous ont parlé de leur expérience, parfois compliquée, dans le grand bain de l’Éducation nationale. L’aventure des entrepreneurs commence presque toujours de la même manière. Après dépôt d’un CV sur la plateforme du ministère ou sur Pôle Emploi, ces diplômés de l’enseignement supérieur de tout âge reçoivent un appel téléphonique les informant de leur affectation dans un ou plusieurs établissements. Un appel qui arrive souvent tardivement, à l’approche de la rentrée. “On est le 30 août, il est 11h16. Le pré-retour c’est demain. Je n’ai aucune information”, s’inquiète Jennifer, jointe par téléphone. Le premier jour d’école, ce professeur d’espagnol conventionnel n’avait pas encore reçu de devoir. L’an dernier, il avait déjà eu la mauvaise surprise de passer d’un temps plein à un temps partiel. De quoi faire fondre ses revenus et raviver ses angoisses. « D’une année sur l’autre, tu ne sais pas à quelle sauce tu vas être mangé. Jennifer, enseignante contractuelle chez franceinfo Dans le même temps, d’autres titulaires de contrat contactés par franceinfo attendaient toujours une réponse. “Je ne sais toujours pas si j’aurai un travail, il ne m’a pas appelé”, s’inquiétait déjà Linda mardi. A juste titre : au matin de la rentrée, il ne l’avait toujours pas contactée. En 2021, déjà, cette enseignante contractuelle de mathématiques et d’arts plastiques en Ile-de-France, a dû attendre octobre pour enfin décrocher un poste après un retrait, malgré dix ans d’expérience. “On bouche les trous”, résume Lionel, un autre entrepreneur. (JÉRÉMIE LUCIANI / FRANCEINFO) Eloi*, n’avait pas encore eu de contact mardi avec le rectorat qui débuterait le lendemain dans un établissement. “Je n’ai pas de contrat de travail et quand j’appelle le cabinet du rectorat, je tombe sur un répondeur qui me dit qu’ils sont fermés jusqu’au 14 septembre”, s’extasie ce professeur d’histoire-géographie, qui a finalement signé son contrat mercredi. de la pré-rentrée des enseignants. L’année dernière n’était pas meilleure. “On m’avait proposé un poste dès le premier jour d’école et on m’avait demandé d’enseigner également le français.” Situation inacceptable pour les syndicats. “Il faut partir du principe qu’un enseignant recruté ne peut pas être devant une classe en vingt-quatre heures”, assène Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. De manière imprévisible, les enseignants contractuels arrivent souvent dans leur établissement avec rien d’autre que leur cartable pour commencer à travailler. Mélissa*, enseignante avec ce statut depuis un peu plus de quatre ans dans le Puy-de-Dôme, décrit une forme de “rush” suivi d’un sentiment de “solitude” lorsqu’elle se remémore son premier jour de cours. « J’étais seul devant un groupe de BTS, rien n’était mis en place pour m’accueillir, déplore-t-il. Ce jour-là, je n’avais même pas accès à l’ENT. [Environnement numérique de travail] tout de suite, et je n’ai pas forcément eu de contact avec les professeurs.” Au début “on est un peu lâche dans l’arène”, abonde Linda. Il se souvient des débuts compliqués, il y a onze ans. “J’avais rendez-vous avec un inspecteur : ils ne m’ont même pas demandé si je savais faire une opération”, s’indigne-t-elle. Sans formation préalable, l’enseignant novice de l’époque apprend alors sur le tas les spécificités du métier, comme “savoir gérer une équipe” ou encore “faire un plan de classe”. Les premiers jours de contrat sont souvent synonymes d’”improvisation” pour ces titulaires de contrat, qui se sont précipités pour remplacer les professeurs absents. “Ces professeurs que nous remplaçons n’ont pas forcément le temps de nous envoyer quoi que ce soit”, explique Gaëlle. Alors au début, parfois on enchaîne soirées et soirées de boulot pour tout rattraper.” “J’ai demandé de l’aide. Cela a fait rire mes supérieurs, ils ont dit:” Faites-le à votre façon! Julie, enseignante contractuelle à l’académie de Toulouse chez franceinfo Pour la première fois cette année, des enseignants contractuels ont été invités par leur presbytère à un programme de formation quelques jours avant la rentrée scolaire, par directive du ministère de l’Éducation. Au programme : quatre jours d’apprentissage des bases du trading et quelques simulations. “Nous sommes très heureux qu’il puisse enfin être mis en place, nous le réclamions depuis longtemps”, se félicite Dorothée Crespin, déléguée nationale de l’Unsa Education. Une formation insuffisante, juge du point de vue de Sophie Vénétitay : “C’est délirant de penser qu’on peut devenir enseignant en seulement quatre jours.” Par ailleurs, le ministère, contacté par franceinfo, rappelle que, tout au long de l’année, les personnels contractuels peuvent, “comme tous les autres personnels”, s’inscrire à une formation. En première année, dix-huit heures de formation obligatoire sont également prévues pour tout le personnel enseignant. Mais, en fait, de nombreux entrepreneurs interrogés signalent des difficultés à libérer du temps pour la formation. “Les magasins n’ont pas forcément le temps de nous lâcher”, explique Gaëlle. Parfois il faut se déplacer à plus d’une heure de chez soi, c’est compliqué” par rapport à “peu de reconnaissance”. Une fois jetés, sans filet de sécurité, dans la grande machine de l’Éducation nationale, les enseignants contractuels se sentent souvent un peu seuls. “On est dans une famille de codes, et dans cette famille il y a l’envahisseur. L’entrepreneur c’est l’envahisseur”, témoigne Angèle*, professeur d’arts plastiques qui a enseigné comme entrepreneur pendant plus de dix ans. Linda se souvient de l’année 2021, lorsqu’un contrat l’a amenée à ne passer que sept heures par semaine dans un magasin. “Je voyais très peu mes collègues, confie-t-il. On sent qu’on n’est pas intégré, qu’on ne fait pas partie de l’équipe.” A court terme, « les professeurs ne cherchent pas trop à nous parler car ils savent que nous ne resterons pas longtemps là », ajoute Gaëlle. Parfois, cela va plus loin : certains enseignants plus diplômés « refusent de saluer » les enseignants non titulaires ou s’attribuent des « espaces dédiés dans la salle des professeurs », racontent plusieurs contractuels. “Dans la salle des professeurs, les autres étaient ceux qui avaient le droit de s’asseoir dans les fauteuils. Nous, les titulaires du contrat, sommes restés debout.” Benoît, enseignant contractuel à l’académie de Grenoble chez franceinfo Ces malheurs à répétition ne doivent pas cacher de nombreuses expériences réussies. « L’équipe pédagogique m’a tout de suite pris sous son aile pour me coacher et me conseiller », raconte Eloi*, contractuel de la région lyonnaise. Un enseignant expérimenté est même devenu son professeur « avec le temps », dit-il. Il faut dire que les conditions de travail, parfois difficiles dans certains établissements, tendent à souder les enseignants. “Au collège, tout le monde est dans le même bateau, constate Benoit. Dans ces conditions, il n’y a plus ni différence ni compétition.”

  • Le nom a été changé à la demande de la personne concernée.