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Le 31 août, à peine 13 minutes avant la fin de son mandat de Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet a publié un rapport attendu depuis quatre ans sur le sort de la minorité ouïghoure de Chine. PHOTO PIERRE ALBOUY, REUTERS Michelle Bachelet a terminé son mandat de quatre ans en tant que Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme le 1er septembre. Un dernier geste de splendeur avant la remise des clés du Palais Wilson, siège prestigieux du Haut-Commissariat à Genève depuis 1998. Mais quatre ans pour signaler une situation où il y a des allégations de génocide de la part du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni, c’est long, extrêmement long. Alors que dit ce fameux rapport ? Fondamentalement, ce que nous savions déjà et qui a été documenté par des organisations de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch et Amnesty International il y a des années. Sans donner de chiffres exacts, le document de l’ONU affirme qu’un grand nombre de Ouïghours et de membres d’autres minorités ethniques à prédominance musulmane vivant dans la province du Xinjiang ont été arbitrairement et discriminatoirement détenus dans des installations de haute sécurité entre 2017 et 2019. Et que l’étendue de la détention “peut constituent des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité ». Le rapport conclut également que les allégations de torture et de violences sexuelles dans les centres de détention sont “crédibles”. Dans les 45 pages du document, il n’est donc pas question de génocide, mais le vocabulaire utilisé n’est pas non plus complètement dilué par le diplomatiquement correct. C’est un pied de nez à la Chine, qui rejette les accusations du revers de la main. Et ce camouflet porte le sceau des Nations Unies. C’est aussi un changement de cap, puisque l’instance internationale est restée trop longtemps discrète sur cette question. Pourquoi Michelle Bachelet a-t-elle attendu la dernière minute pour publier ce document ? C’est la question à plusieurs milliards de yuans chinois. Des personnes en coulisses qui suivent de près la rédaction du rapport disent qu’il est prêt depuis plus d’un an. A la décharge du Haut Commissaire, ce dernier n’a été autorisé à se rendre en Chine qu’en mars dernier. A l’issue de cette visite, Mme Bachelet est restée très circonspecte, affirmant qu’elle n’était pas dans le pays pour des recherches, mais pour ouvrir un dialogue avec les autorités chinoises. Ses réticences à son retour de mission ont poussé 47 pays à lui adresser une lettre commune, lui demandant plus de précisions sur ses propos, ainsi que les limites que lui impose la Chine. Ce que Michelle Bachelet a qualifié de “pression extrême” n’est pas venue d’un seul côté. La Chine n’est pas restée les bras croisés, arguant que les accusations portées contre elle dans le dossier ouïghour étaient le “mensonge du siècle” et une fabrication des pays occidentaux pour nuire à son développement. Des pays proches de l’Empire du Milieu, dont Cuba et le Venezuela, ont également contacté Mme Bachelet pour lui demander de ne pas publier son rapport. Il y a moins d’une semaine, lors de sa dernière conférence de presse avant de se retirer, la haut-commissaire semblait toujours déchirée, incapable de dire si elle avait l’intention de publier le rapport avant son départ. A la fin d’un seul mandat. Le poste de Haut-Commissaire aux droits de l’homme n’a jamais été une tâche facile. Il demande à la fois courage et habileté diplomatique et permet rarement à son propriétaire de remporter un concours de popularité. Parlez-en à la Québécoise Louise Arbour, qui l’a occupé de 2004 à 2008. Pour avoir critiqué les pratiques d’Israël (ainsi que celles du Hezbollah) à la suite de la guerre du Liban en 2006, elle a été snobée par son propre gouvernement, alors dirigé par Stephen Harper. Ses prédécesseurs et successeurs ont tous eu leur part de critiques et d’attaques, parfois de la part de pays amis. Nommé par les États membres de l’Assemblée générale des Nations unies, le Haut Commissaire, qui par définition devrait être au-dessus de la mêlée, ne peut ignorer complètement les jeux d’influence qui se déroulent dans les couloirs des Nations. Et dans ces couloirs, la Chine – qui est devenue l’un des principaux donateurs de l’organisation internationale – montre de plus en plus la voie. En publiant son rapport avant de frapper à la porte, Michelle Bachelet a en quelque sorte défendu l’intégrité du poste qu’elle vient de quitter. Cependant, elle ne sera plus basée à Genève pour assurer le service après-vente. Pour chasser la Chine. Si son successeur – qui n’a pas encore été nommé – ne l’aperçoit pas, la bombe de dernière minute pourrait malheureusement se transformer en cracker mouillé.